lundi 1 mars 2010

Nouvelle-Orléans

"Il y avait eu jadis Louis Armstrong qui, dans les limons de la Nouvelle-Orléans, soufflait de toute la force de ses poumons magnifiques; avant lui, les musiciens fous qui faisaient la parade aux fêtes légales et qui décomposèrent en ragtime leurs marches de Sousa. Puis ce fut le swing et Roy Eldridge, vigoureux et viril, qui tira du saxo tout ce qu'il pouvait donner en modulations puissantes, et logiques et subtiles, penché sur la besogne avec ses yeux étincelants et son beau sourire et semant à tous vents pour mettre en transes le monde du jazz. Puis vint Charlie Parker, le gosse que sa mère enfermait dans la resserre à bois, à Kansas City, soufflant dans son alto rafistolé au milieu des billes de bois, s'exerçant les jours de pluie, se débinant pour aller étudier le vieil orchestre swing de Basie et Benny Moten, qui comprenait Hot Lips Page et toute la bande; Charlie Parker quittant sa famille pour venir à Harlem et rencontrant ce dingo de Thelonius Monk et Gillespie plus dingo encore; Charlie Parker à l'époque héroïque où il était cinglé et marchait tout en rond pendant qu'il jouait. Un peu plus jeune que Lester Young, de Kansas City également, cette épave lugubre et sainte, en qui se résume toute l'histoire du jazz; aussi bien, lorsqu'il tenait son cuivre bien haut et horizontal, soufflait-il de la plus noble façon; et, quand ses cheveux s'allongèrent et qu'il devint plus paresseux et qu'il fut complètement drogué, son cuivre descendit de quarante-cinq degrés, jusqu'au moment où finalement il dégringola jusqu'en bas et, aujourd'hui, comme il porte des souliers à fortes semelles qui l'empêchent de sentir le trottoir de la vie, son cuivre pend mollement sur sa poitrine et il souffle des phrases distinguées et faciles à déballer. Puis venaient les enfants de la nuit bop d'Amérique." Jack Kerouac, Sur la route (1957).




M.In & YNK & Bastian Schuster-New Orlean

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